Transformation écologique : quelles sont les conversations courageuses que nous n'osons pas avoir?

Auteurs: Armelle Stoltz, Andra Morosi et Emmanuelle Aoustin

"Transformation écologique : quelles sont les conversations courageuses que nous n'osons pas avoir?" Ce 9 février 2023, c’est ainsi que Seedlings entame son cycle de Conversations Courageuses en ouvrant un espace de réflexion autour du courage nécessaire pour initier une conversation authentique au sein des entreprises, pour oser nommer les choses et ouvrir un vrai dialogue sur les changements à opérer pour répondre aux défis de la crise systémique à laquelle nous sommes confrontés.

Pourquoi parler de courage ? La transition écologique nécessite une véritable transformation, et l’ampleur du changement à opérer est colossale. Sans courage, pas de transformation ! Le courage met en action et permet de dépasser les obstacles pour accomplir de grandes choses.

Pourtant, malgré les preuves scientifiques de l’évidence d’un point de bascule et de l’urgence à agir, on constate des actions tièdes, des stratégies RSE peu ambitieuses, des approches « de conformité », des déclarations non suivies de faits… Pourquoi? Parce que nous avons peur… Les neurosciences nous démontrent que, confronté à une situation nouvelle, ou dans laquelle nous percevons un danger, notre cerveau se place en situation de peur : notre cerveau émotionnel se laisse entraîner par cette perception du danger pour court-circuiter le néocortex où siège notre raison, l’empêchant alors de réfléchir et de prendre du recul. Ce mécanisme nous prive de notre raisonnement et de notre capacité à agir rationnellement.

Peur de l’incertitude, peur de ne pas maîtriser ou contrôler, peur de bousculer nos modes opératoires et nos manières de penser (remettre en cause le business model par exemple), peur des réactions (celles des actionnaires ou de la maison-mère, celles des collègues, …), ou encore peur de ne pas savoir mener un chantier si gigantesque. Nous avons peur, et il faut le dire ! Car nommer nos peurs, c’est justement avoir le courage de dire les choses.

“Le courage est le juste milieu entre la peur et l’audace” - Aristote.

Autres freins qui entravent notre rationalité et empêchent le changement: les biais. Ils nous ralentissent quand il faudrait accélérer. Le biais de loyauté à l’entreprise qui me nourrit et m’offre une carrière professionnelle m’empêche d’engager une conversation inconfortable. Le biais de l’égo et de l’auto-centrage qui valorise l’individualisme et entrave la notion de bien commun et de plus grand que soi. Le biais de groupe (« la pression de la foule »), par exemple dans un CODIR où on se « range à la majorité », empêchant ainsi de partager des points de vue singuliers. Ou encore le biais d’invulnérabilité qui nous fait penser que notre entreprise ne sera pas impactée.

Or, comme le partage la chercheuse et auteur Brené Brown, pour transcender ces freins, nous avons besoin de nous montrer vulnérables et imparfaits (humains !), nous laisser guider par nos convictions, accepter d’être déstabilisés, apprivoiser l’inconfort, ouvrir nos cœurs et exprimer nos doutes.

Et si, finalement, ressentir de l’inconfort était justement le signe d’être dans une conversation courageuse?

Prenons l’exemple de ce dirigeant qui parlait devant son CODIR: “Nous sommes devant une vraie impasse. Je n’ai pas la solution et je me sens inquiet devant ce qu’il nous arrive. Mais je n’ai pas le moindre doute que, ensemble, nous trouverons les solutions”. En entreprise, oser se montrer vulnérable sur les questions de transition écologique, c’est en faire un enjeu central et urgent, accepter de ne pas avoir toutes les réponses, et oser ouvrir le débat avec toutes les parties prenantes.

N’y aurait-il pas par ailleurs des mots-tabous en “communication corporate”? Or le choix des mots est important pour s’exprimer et être entendu. Et si on osait dire les mots de “décroissance” (et non pas “croissance raisonnée”), de “renoncement” (et pas “frugalité” ou “sobriété”) ou encore de “radicalité” (au sens d’aller à la racine)? Avoir une conversation courageuse, c’est faire table rase des approximations, des euphémismes et du politiquement correct.

Parler vrai c’est aussi “parler avec ses tripes” en étant alignés avec ses valeurs et en affirmant ce qui nous habite, portés par nos convictions et guidés par un intérêt supérieur, la transition écologique. Se relier au sens, c’est un tuteur de courage.

Oser les conversations courageuses serait finalement une qualité essentielle pour activer ce nouveau leadership de la transition écologique: remettre en question l’existant, ouvrir la voie de la transformation avec humilité et détermination, sans savoir tout ce qui va émerger, lâcher le contrôle, repenser la vision et redéfinir la trajectoire de redirection.

En résonance, les participants ont partagé ouvertement ce qui nous freine pour engager une conversation courageuse sur la transition écologique. Ce peut être lié à une question de légitimité, à notre propre crainte du rejet, à la peur d’être dénigré, voire à un sentiment de prise de risques en tant qu’employé de l’entreprise. On fait aussi parfois face à des freins de la part de nos interlocuteurs, à de la mauvaise foi, ou au pouvoir des traditions quand on nous rétorque “on a toujours fait comme ça!”. Il peut même y avoir une impossibilité du dialogue car, comme l’a bien résumé l’un des participants, “il faut être deux pour dialoguer” ! C’est parfois la complexité et l’ampleur de la tâche qui nous tétanise : où commencer? quelles sont les priorités?

Ce qui nous mobilise? Nos convictions profondes, l’urgence, l'amour de la planète, “mes petits-enfants et la responsabilité/le cœur de leur laisser un monde vivable”, l'énergie collective et la nécessité d'avancer tous ensemble “À l'unissons des cœurs !

 

Notre invitée Marine Simon, auteur de “Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l'ignorer” (éditions Yves Michel), nous a proposé 3 inspirations du vivant:

  • La symbiose, cette association entre au moins deux êtres vivants, souvent d’espèces différentes, et qui fait qu’ils ne peuvent plus vivre l’un sans l’autre, comme par exemple l’escargot de mer et l’anémone de mer. Cette coopération bénéfique nécessite aussi d’abandonner un peu de sa spécificité et de sa liberté. Comment cela nous questionne t’il sur notre culture plutôt individualiste et compétitive? Ou encore sur le fait d’oser se laisser transformer et s’enrichir au contact de l’autre?
  • Le vivant a intégré la mort dans le cycle de la vie. Et pour nous, quid d’oser mourir à nos croyances, à nos systèmes de pensée, à nos business models, ou à nos systèmes économiques? La biosphère est un espace restreint et nous sommes en interdépendance : nous ne pourrons jamais trouver des solutions si nous ne considérons pas les limites planétaires et les principes de bonne gestion de la maison (le mot économie vient du grec « oikos » la maison et « nomos » la règle);
  • Le vivant organise de l’abondance distribuée. En consommant et en impactant son écosystème, une espèce crée des co-produits pour d’autres espèces: des habitats, de la nourriture, des services eco-systémiques qui entretiennent la vie. Quelle inspiration pour nous? Penser au-delà de réduire nos impacts et explorer la régénération !

 

Dans cet espace d’échanges profonds, les participants partagent leurs questions, leurs idées et leurs élans:

J’apprends le discernement de sentir les moments opportuns, les circonstances opportunes.”

Oser débattre et confronter ses idées, c'est oser être vulnérable dans le sens où l'on accepte de faire évoluer son point de vue aussi : suis-je capable de suffisamment d'ouverture pour écouter l’autre et lui donner le droit de penser différemment ?”

“La radicalité est un axe intéressant : oser questionner la profondeur de la transformation”

“Je trouve intéressant comme porte d'entrée "as-tu envie d'une conversation courageuse? " Demander la permission pour avoir des conversations courageuses, c'est très beau comme intention ; et en même temps les entreprises qui détruisent le vivant ne demandent de permission à personne…”

“ Et moi? si j’osais me questionner sur ce que je suis prête à faire bouger chez moi pour construire le monde auquel j'aspire ?”


Les Conversations Courageuses ont lieu chaque second jeudi du mois, de 18h à 19h CET, et alternativement en français et en anglais un mois sur deux. Pour en savoir plus sur les Conversations Courageuses, rendez-vous ici : vous y trouverez les articles relatifs aux événements passés et les liens d’inscription pour les prochains. 

“Un grand merci pour ce très bon moment et ces réflexions! Merci pour l'ouverture sur le champ des possibles ! Merci pour cet espace et votre courage d’amener ces sujets ! Merci pour cette conversation qui me donne envie d'aller plus loin dans mon engagement!”.